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Le naufrage du Navire-École belge «Comte de Smet de Nayer»
Parfois aussi, le désastre qui l'engloutira peut prendre naissance dans ses propres flancs. Le navire-école belge « COMTE de SMET de NAYER » en fournit la démonstration tragique, voici soixante-dix ans. Beaucoup de monde sur les quais d'Anvers, ce matin du 11 avril 1906, pour assister au départ de ce beau voilier, un trois-mâts carré âgé de deux ans à peine, destiné à l'amarinage des cadets de la marine marchande belge. Un de ces long-courriers « de bois et de toile », dont la haute voilure gonflée par le vent évoque la course et la flibuste. Destination : l'Afrique du Sud. Cargaison : du ciment à livrer à Natal. À bord, c'est la fiévreuse activité précédant les grands départs. Sur les quais, parents et amis des élèves suivent avec intérêt le ballet des cadets réglé au sifflet par les officiers. Pour cacher l'émotion, on échange des lazzis, des plaisanteries. Mais voici le moment de larguer les amarres. C'est l'appareillage dans la fièvre. Les cœurs se serrent, les yeux se mouillent, les mouchoirs s'agitent. Hâlé par un remorqueur crachant rageusement sa fumée. Le « COMTE de SMET de NAYER » s'éloigne lentement sur les eaux grises de l'Escaut. Au premier coude du fleuve, il n'est déjà plus qu'une silhouette parmi beaucoup d'autres. Une silhouette qu'on ne reverra plus sur l'Escaut, ni nulle par ailleurs. Tout est en place pour une terrible aventure qui reste, aujourd'hui encore, le plus grand drame vécu par des Belges sur le théâtre de la mer. Ils sont 59 à bord. Un « pacha », routier chevronné, le capitaine Fourcault ; le lieutenant van Zuylen van Nijvelt, premier officier ; les lieutenants Wenmackers, Van Essche et Célis ; l'aumônier Cuipers, avec sa carrure de trappeur, sa grosse face tannée, son poil gris et sa moustache roussie par le brûle-gueule, le médecin Molitor, les professeurs Van den Plus et Van Den Bossche, vingt marins et trente cadets de moins de 18 ans. Après avoir mouillé à Flessingue, le « COMTE de SMET de NAYER » quitte l'embouchure de l'Escaut le 13 avril. Une bonne brise souffle. Les voiles sont hissées aux mâts de misaine et d'artimon, puis au grand mât. Et bientôt 3.000 mètres carrés de toile se gonflent dans la gloire du vent. Le pavillon belge est envoyé. Le voilier vogue fièrement vers la haute mer, direction sud. Le 15 avril, H rencontre le paquebot « PRINCESSE ELISABETH ». Navigation rapprochée pendant une demi-heure, au cours de laquelle on fait passer d'un bateau à l'autre des lettres des cadets pour leurs familles. Et déjà, le grand voilier, les voiles gonflées par la brise sud-sud-ouest, disparaît à l'horizon. Pour toujours. Rien, pourtant, ne laisse encore présager le drame. Tout va pour le mieux à bord. Les cadets, aidés par les hommes d'équipage manœuvrent bien sous la direction des officiers. On file cinq noeuds, allure que le vent frais permet d'augmenter encore le lendemain. Et le surlendemain. Au prix de quelques paquets de mer, il, est vrai, mais sans qu'il y ait motif à inquiétude. D'ailleurs, le 17 avril au soir, bien que la mer restât grosse, le vent mollit. - Ainsi, mes garçons seront amarinés dès le début du voyage, confia Fourcault en souriant à l'aumônier Cuypers.
Le commandant Fourcault ,ne pouvait pas ne pas se rappeler que son navire était né sous une mauvaise étoile. Lancé moins de deux ans auparavant, il avait chaviré à quai alors qu'on procédait au remplissage, des réservoirs d'eau. Renfloué, il avait été aménagé pour augmenter sa stabilité. Les essais sous voile avaient été satisfaisants, mais la vitesse du voilier n'était pas très élevée. « Un beau sabot, mais un sabot » avaient déclaré certains experts. Durant son premier grand voyage, au Chili, le « COMTE de SMET de NAYER » avait réalisé un honnête moyen, mais à son retour à Anvers, on avait constaté que la coque était fatiguée. Il avait fallu remplacer de nombreux joints et rivets. D'où l'inquiétude de Fourcault. La coque n'avait-elle pas fatigué à nouveau ? Ne serait-ce pas la cause des infiltrations d'eau dans la cale ? Le 18 avril, à six heures du matin, le maître d'équipage Vandeputte frappe à la porte de la cabine du commandant. Son visage parle pour lui. Quatre pouces d'eau dans la cale et les réservoirs. Fourcault monte sur la dunette. Le vent a fraîchi. Le « COMTE de SMET de NAYER » file dix noeuds avec une certaine gîte à bâbord. Ceci explique peut-être cela. L'officier de quart ne signale rien d'anormal. Il sait que le navire est lourd et se redresse lentement. «Faites serrer les perroquets», commande Fourcault. La mer est grosse. Les lames s'écrasent sur la lisse bâbord. La coque travaillait visiblement. La coque travaillait et il y avait de plus en plus d'eau dans la cale. S'il y avait rapport de cause à effet, la catastrophe était inéluctable. Trois hommes seulement étaient au courant de cette rentrée d'eau. Fourcault, le second, van Zuylen van Nyvelt et le maître d'équipage, Vandeputte. À bord, la vie continuait comme à l'ordinaire. Dans l’entrepont, les cadets suivaient les cours des professeurs Van den Plas et Van Den Bossche. Les matelots s'acquittaient de leurs tâches. Le cuistot s'affairait autour de ses fourneaux. Le voilier examinait un foc de rechange. L'aumônier jouait avec le chien. La vie continuait, mais seul, Fourcault savait qu'elle était menacée. En fin de matinée, d'énormes paquets de mer inondèrent les dortoirs et la cuisine. Le maître d'équipage fit écoper l'eau avec des seaux. Fourcault fit rétablir les perroquets avec l'espoir d'améliorer l'équilibre du navire. Le baromètre, stationnaire, restait bas. Pas de changement de temps à espérer dans l'immédiat. Le « COMTE de SMET de NAYER » ne craignait pas le gros temps, il était construit pour étaler les tempêtes. Mais il était de plus en plus lent à s'élever à la lame. Durant l'après-midi, le vent se calme un peu, mais la houle reste forte. Le voilier roule de plus en plus fort, embarquant à chaque coup des paquets de mer. La gîte devient vraiment préoccupante. Les derniers sondages de la cale révèlent une nouvelle montée d'eau. C'est une véritable masse liquide que le navire roule à présent dans ses flancs. Il devient urgent de se mettre à pomper. Dès lors, Fourcault réunit son équipage, auquel il s'était gardé jusque-là de communiquer ses inquiétudes, et lui annonce sans autre détail que le navire fait eau et que des mesures de sécurité s'imposent. Le maître d'équipage est chargé de mettre en route la pompe à vapeur. Des équipes sont affectées aux pompes à main. Les cadets ne manifestent aucune émotion, ils sont trop novices pour se rendre compte de la gravité de la situation. Les matelots, eux, s'étonnent de cette voie d'eau, après une semaine de mer seulement, alors que le navire n'a reçu aucun choc. Les plus anciens se rappellent que le « COMTE de SMET de NAYER » est né sous une mauvaise étoile. Ils se souviennent que lors de son baptême, la marraine avait dû s'y reprendre à deux fois pour casser la bouteille de champagne contre l'étrave, ce qui était un mauvais présage. Il y avait eu ensuite les incidents après le lancement et les réparations à effectuer après la première croisière. En outre, on avait appareillé de Flessingue un vendredi 13, un vendredi-saint de surcroît... On sait que les marins sont volontiers superstitieux. Quoi qu'il en soit, et sans laisser apparaître leur désarroi, ils se mettent à pomper. Mais la bataille est perdue d'avance. À la tombée du jour, il devient évident que les pompes à main seront impuissantes à étaler la rentrée d'eau. Et il ne reste qu'elles, car la pompe à vapeur, à demi submergée, refuse désormais tout service. Pour le « COMTE de SMET de NAYER », rongé par un mal mystérieux dont l'évolution, en quelques heures, est devenue foudroyante, l'heure de l'agonie a sonné. Sa cargaison de ciment a joué le rôle d'éponge ; son poids est devenu tel que le navire est condamné à couler bas. Son réservoir à lest complètement rempli d'eau, il subissait à la fois la pression de celle-ci à l'intérieur de la coque et les violents coups de mer à l'extérieur. Sa résistance ne pouvait plus durer très longtemps. Un instant d'espoir fou, pourtant, au cours de cette tragique nuit du 18 au 19 avril : la vigie signale les feux d'un navire à contre-bord. Deux feux blancs assez lointains. - Un miracle, murmure l'aumônier Cuypers Aussitôt, les fusées jaillissent du voilier, dont les longues traînées rouges rayent la nuit basse. La rapidité de la réaction dit assez que son équipage n'attendait plus rien du « COMTE de SMET de NAYER », et que l'espoir d'être sauvé ne pouvait venir que de l'horizon. Espoir déçu, car les deux feux blancs ne brillaient plus. Il était quatre heures du matin. Une dernière inspection du navire révèle au capitaine Fourcault qu'il ne commande plus qu'une épave. Près de deux mètres d’eau dans les cales. Une multitude de craquements, d'éclatements, de déchirures rauques. Le pont du « COMTE de SMET de NAYER » est au ras des vagues. Il n'y a plus une seconde à perdre, il est plus que temps de prendre les dispositions d'abandon. Un premier canot, celui de bâbord, est descendu. Précipité avec violence contre le flanc du navire, il chavire. Le second, celui de tribord, connait le même sort entraînant ses trois occupants dans l'eau sombre à peine éclairée par le petit jour gris. Les vagues furieuses les empêchent le saisir les bouées de sauvetage qu'on leur lance du pont à l'aide de cordes. Chez les cadets, c'est l'affolement. Terrifiés, ils sont tous rassemblés sur le « spardeck », au pied du grand mât, écartés par les matelots qui craignent que leur inexpérience ne soit la cause d'une fausse manœuvre. Pendant ce temps, d'autres matelots se sont portés vers le gaillard d'avant où se trouvent encore deux embarcations, mais il est impossible de s'en approcher, le pont noyé les isolant des naufragés. Bilan du désastre un seul canot à flot, à moitié rempli d'eau, pour les 56 hommes restant à bord du « COMTE de SMET de NAYER ». Encore fallait-il qu'ils puissent l'atteindre ! Debout à l'arrière, le commandant Fourcault donne l'ordre aux cadets de sauter à la mer et de tenter de rejoindre le canot. Toujours groupés autour du grand mât, paralysé par la peur, les pieds déjà dans l'eau, les jeunes gens ne paraissaient pas se rendre compte que c'était maintenant ou jamais. Il fallut que les matelots donnent l'exemple et que le lieutenant Van Zuylen les encourage pour qu'ils se décident à franchir la lisse. Chaque fois qu'un homme sautait à la mer, l'aumônier Cuypers le bénissait d'un geste large en lui donnant l'absolution. - Sauvez-vous maintenant, Monsieur l'aumônier, lui dit le commandant Fourcault. - Allez-y. Il leur faudra un officier pour les diriger et les aider à regagner la terre. Une vingtaine d'hommes restaient encore sur l'épave. - Mais qu'attendent-ils donc. Allez-vous autres, cria Fourcault. Son cri se perdit dans un énorme bruit d'explosion. La coque du « COMTE de SMET de NAYER » venait de se briser en deux, au tiers arrière de sa longueur. Les drisses cassent. Les voiles sont arrachées. Leurs lambeaux durs comme des lames frappent les hommes, les renversent, les assomment, les jettent à la mer. Les vagues qui écrasent leurs masses furieuses sur le pont balayent tout sur leur passage. Un craquement terrible. Le tonnerre semble foudroyer le navire. C'est le mât d'artimon qui vient de s'abattre sur le pont fracassant tout sous son poids.
Il est sept heures dix, ce dix-neuf avril. Dans la lumière blanche du matin, le « COMTE de SMET de NAYER », coupé en deux, la poupe et la proue se dressant obliquement vers le ciel, disparaît dans un grand tourbillon au milieu du fracas des lames et avec un long bruit d'aspiration. Quelques secondes plus tard, il ne reste à la surface de la mer que quelques épaves noires surnageant sur un tourbillon d'écume. Ils sont 22, une majorité de cadets, serrés dans le canot à deux cents mètres du lieu du naufrage, hébétés, les yeux agrandis par l'effroi, à se retrouver seuls sur l'immensité grise de l'océan, à prendre finalement conscience de la précarité de leur sort. Écrasés par leur propre faiblesse, la presque totalité des membres de l'équipage a péri en luttant désespérément pour tenter de les sauver, ne comprenant pas comment ils sont encore en vie, anéantis par l'ampleur d'un drame auquel ils n'étaient pas préparés. Anéantis au point de ne pas lever le petit doigt pour essayer de repêcher quelques autres survivants, agrippés l'un à un tonneau, l'autre à un espar, un autre encore à une cage à poules, qui nagent désespérément ver le canot et, malgré leurs efforts, dérivent loin, toujours plus loin. Au point d'hésiter à prendre à bord quatre rescapés qui nagent vigoureusement vers le canot dont ils attendent visiblement que les occupants fassent force de rames vers eux. Il s'agit d'un cadet, d'un matelot et de deux lieutenants : Wenmackers et Célis. - On est déjà trop comme cela, on va chavirer ! On peut les excuser, ce sont des gosses dont le plus âgé a moins de vingt ans. Il faudra qu'un matelot, un peu plus âgé, avance l'argument : « On a besoin des officiers pour nous conduire à terre » pour que les hésitations soient dissipées et qu'on laisse les quatre hommes monter à bord du canot. Aussitôt, Wenmackers prend le commandement. Le canot est endommagé et il fait eau. Il faudra écoper avec des bidons vides. Des équipes sont formées qui rameront à tour de rôle. Au sommet d'un mât de fortune, on hisse une voile faite de vêtements grossièrement assemblés. Le moral revient, car on sent à bord du canot qu'on a affaire à un chef, et on se met à écoper et à souquer. Wenmackers, en fait, a menti, mais il n'avait pas le choix. On n'est pas à vingt-quatre heures de la côte, mais à cinq jours. Les provisions se réduisent à trois livres de chocolat, un baril d'eau et deux bouteilles de « peptone ». De quoi tenir un jour tout au plus. Le seul espoir de survie est la rencontre d'un navire. Espoir fondé, car on se trouve dans le golfe de Gascogne, très fréquenté, mais fort mince espoir malgré tout, car l'océan est vaste et le canot du « COMTE de SMET de NAYER » si petit ! Durant toute la matinée du 19 avril, les rescapés ramèrent avec force, soutenus par les encouragements du lieutenant Wenmackers. Dieu sait pourtant si la partie était dure. L'embarcation, surchargée n'avançait que lentement, embarquant à chaque lame un peu forte. Mais les cadets, ayant retrouvé confiance, ramaient et écopaient à tour de bras. En début d'après-midi, la lutte contre l'océan devenant de plus en plus dure, la fatigue se faisant sentir et la mer restant désespérément vide, le découragement succéda à l'espoir. La distribution d'une demi-tablette de chocolat et de quelques gorgées d'eau par personne, à midi, assortie de l'annonce qu'il n'y aurait plus rien avant sept heures du soir souleva quelques murmures. La promesse, fallacieuse, que tout le monde mangerait à sa faim le lendemain et même plus si certains le voulaient, ne récolta que quelques sourires vite éteints. Wenmackers, lui-même, n'y croyait plus. Les gosses n'avaient plus les forces physiques voulues, ni les ressources morales pour tenir longtemps encore. Le lieutenant avait surestimé la résistance des cadets et il commençait à regretter maintenant de leur avoir menti. Que se passerait-il le lendemain, lorsque les vivres seraient épuisés et qu'aucune côte n'apparaîtrait à l'horizon ? Et qu'il ne pourrait plus cacher à ses hommes que la mort lente était désormais la seule issue à leurs épreuves ? Les hommes les plus solides relaient désormais plus souvent qu'à leur tour leurs camarades les plus épuisés pour qui manœuvrer une rame est devenu une entreprise surhumaine. Le lourd silence qui règne à bord du canot, la solitude de la mer, le souvenir de la tragédie vécue rongent impitoyablement le moral des naufragés comme l'acide sur l'acier. Plus personne ne se fait illusion sur le sort qui l'attend. Chacun s'en remet, faute de mieux, à la Providence. Et la Providence se manifeste, à quatre heures, sous la forme d'une voile qui apparaît à l'horizon. C'est le lieutenant Célis, l'autre officier de l'embarcation, qui l'a aperçue. « Un navire ! ». Quelques secondes se passent avant que les occupants du canot ne réalisent la signification de ce cri. Quelques secondes encore avant qu'ils ne se rendent compte que le lieutenant Célis n'avait pas été victime de son imagination ou d'une illusion d'optique, et c'est le délire. On crie, on hurle comme si ces clameurs pouvaient être entendues par le trois-mâts lointain, à une dizaine de milles environ, dont l'existence ne fait plus de doute, on agite désespérément des morceaux de toiles, des maillots, les rames, tout ce qu'on peut agiter. On est sauvé ! On est sauvé, pour autant qu'à bord du trois-mâts une vigie ait repéré de son côté le canot du « COMTE de SMET de NAYER ». Pour le lieutenant Wenmackers, cela semble peu probable vu la distance. Pour mettre la chance de son coté, il faut donc, tenter de s'approcher du voilier et pour ce faire se mettre en travers de sa route. Wenmackers, pourtant, hésite a donner l'ordre de changer de cap car, en ce faisant, il choisissait de s'éloigner de la terre et, en cas d'impossible poursuite, condamnait ses hommes à une mort certaine. Mourir pour mourir, autant avoir tenté l'impossible. Wenmackers choisit le navire et fait modifier la route du canot. Le hasard était désormais maître du destin des naufragés. Deux heures d'attente, interminables, durant lesquelles leur sort fut sur la balance. Décidé comme le lieutenant à jouer le tout pour le tout, le docteur fait procéder à une nouvelle distribution de vivres. Les dernières tablettes de chocolat, les dernières réserves d'eau, les deux bouteilles de « peptone » y passent. Vers six heures, alors que la nuit tombe doucement et que le désespoir est prêt à fondre de nouveau sur les malheureux, ils voient le trois-mâts changer de cap et se diriger vers eux. On les a vus. Ils sont sauvés. Sauvés ! Une demi-heure plus tard, les hommes du « COMTE de SMET de NAYER » se retrouvent à bord du « DUNKERQUE », un trois-mâts français faisant route vers Hambourg, dont le commandant ne peut dissimuler sa stupéfaction - Il n'y avait donc que des mousses sur ce bateau-là ! Le lieutenant Wenmackers confirma cette décision au patron du « GRANVILLE ». Il attendait des ordres du gouvernement belge, auquel il avait transmis la liste des survivants. Il se borna, visiblement contrarié, à déclarer que le naufrage était dû à une voie d'eau dont on ne s'expliquait pas la cause. Il fallait attendre les conclusions de l'enquête qui ne manquerait pas d'avoir lieu. Et le « DUNKERQUE » appareilla pour Hambourg. Le lendemain, le naufrage du « COMTE de SMET de NAYER » faisait la une de la plupart des journaux français, anglais et belges. On avait fait de la copie au départ des déclarations laconiques du lieutenant Wenmackers, mais on s'étonnait quand -même du mutisme des naufragés et de leur porte-parole. On comprenait le souci de celui-ci de réserver à son gouvernement la primeur de son récit. Mais de là à refuser de répondre à quelques questions, bien anodines, sur les circonstances du drame, cela créait un certain malaise !
Ce malaise fut ressenti le plus profondément en Belgique, pour laquelle la perte du navire-école constituait une catastrophe nationale, d'autant plus que la liste des disparus n'avait toujours pas été publiée. Intolérable angoisse pour les familles des membres de l'équipage. On cria au scandale. On rappela les avatars qu'avait connus le « COMTE de SMET de NAYER » depuis son lancement. On affirma qu'il avait été construit au rabais avec de mauvais matériaux. De nombreuses demandes d'interpellations furent déposées à la Chambre. Le gouvernement ne se décidant toujours pas à publier la liste des rescapés, les rumeurs les plus folles circulèrent. Le « DUNKERQUE » avait coulé à son tour, en Mer du Nord, II n'y avait pas de survivants ! En ce début du mois de mai 1906, la Chambre fut le théâtre de débats houleux au cours desquels on remit à nouveau en question la qualité de la construction du voilier-école, « Un bateau pourri ! » ; on déclara sur base du témoignage de certains rescapés que personne à bord ne savait comment déclencher la mise à l'eau des canots de sauvetage ; on prétendit que les officiers, n'ayant pas su maîtriser la panique de l'équipage, s'étaient montrés inférieurs à leur tâche, que faute d'un commandement ferme la plus grande confusion avait régné au moment de la catastrophe, que des matelots avaient pris de force la place des cadets à bord de la seule baleinière utilisable, etc., etc... Le gouvernement n'eut pas de peine à répondre que le « COMTE de SMET de NAYER » avait été classé en première catégorie par les experts du Lloyd, à la suite d'essais de solidité et de navigabilité ; que dans des circonstances du même genre, la faiblesse momentanée d'hommes frappés par le malheur avait donné lieu à des Incidents semblables dans beaucoup de naufrages et que l'héroïsme de commandant Fourcault, du lieutenant van Zuylen et de l'aumônier Cuypers étaient dignes des grandes traditions de la mer. 'Le mystère, un certain mystère, n'en subsista pas moins. Dont les experts n'apportèrent jamais l'explication.
L'enquête menée en vue de déterminer les causes du naufrage et d'en établir éventuellement les responsabilités n'aboutit à aucune conclusion précise. Le « COMTE de SMET de NAYER » avait emporté son secret avec lui au fond de l'océan. Le navire-école belge eut un remplaçant, le « COMTE de SMET de NAYER Il », auquel succéda « L'Avenir ». Celui-ci navigua sous les couleurs belges jusqu'en 1932, date à laquelle il fut vendu à un armateur finlandais qui le céda, cinq ans plus tard, à la Hamburg-America Line. Rebaptisé « ADMIRAL_ KARPFANGER » le voilier revint à sa destination première : un navire-école. Il sombra corps et biens au large du Cap Horn, au retour de son premier voyage, une croisière d'amarinage qui l'avait mené d'Hambourg en Australie. 62 hommes, dont 40 cadets se trouvaient à bord. Tout comme celui du «COMTE de SMET do NAYER», le naufrage de « l'AVENIR » demeura inexpliqué.
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